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Le Bauhaus, 100 ans et pas une ride ( Le MONDE, suplement argent 02 avril 2019)

 

Tabouret de Marcel Breuer (1927) pour le bâtiment du Bauhaus, à Dessau (Allemagne). COURTESY GALERIE ULRICH FIEDLER Roxana Azimi ART Le marché des œuvres de ce mouvement allemand reste confidentiel en France. Les pièces d’époque sont rares, et se paient – très – cher Vous ignorez tout du Bauhaus ? Vous ne pourrez y échapper en 2019. Partout en Allemagne on célèbre le centenaire de cette école libertaire créée, en 1919, à Weimar, par l’architecte Walter Gropius, et qui eut comme pilier des architectes-designers comme Marcel Breuer et Ludwig Mies van der Rohe. Bien que sabordée en 1933 face à la montée du nazisme, enseignants et élèves iront prêcher ses valeurs dans le monde entier, de Chicago (Illinois) à Tel-Aviv (Israël).

Plus qu’une école, le Bauhaus est un esprit, celui de l’art pour tous. Ses mots d’ordre ? Mettre le beau et la joie dans l’utile, réconcilier beaux-arts et arts appliqués, artisanat et fabrication mécanique en série. Privilégiant des lignes minimales de verre et d’acier et des formes pures, ce mouvement n’a pas pris une ride.

Son marché demeure pourtant confidentiel. Si le marchand germanique Ulrich Fiedler présente des pièces Bauhaus dans les foires de design, notamment Design Miami/Basel, ses confrères français portés sur le modernisme n’en déploient qu’avec parcimonie. « Quand on a fait l’exposition en 2016, on a constaté que la dernière rétrospective de taille remontait à… 1969. Qu’un mouvement aussi important ne soit étudié que tous les cinq ans, c’est incroyable, s’étonne Olivier Gabet, directeur du Musée des arts décoratifs, à Paris. Il y a un mépris français pour l’art allemand, et nous avons aussi une autre histoire de la modernité, avec l’UAM [l’Union des artistes modernes est un mouvement d’artistes décorateurs et d’architectes, fondé en France en 1929]. »

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les acheteurs sont prêts à payer dix fois plus cher pour des meubles d’après-guerre de Jean Prouvé, ignorant le mobilier en tubulaire d’un précurseur comme Marcel Breuer. « C’est assez surprenant de voir que les lampes d’après-guerre, comme celles de Serge Mouille, pourtant plus tardives, valent plus chères que celles des designers du Bauhaus », soupire le marchand Emmanuel Jourgeaud, de la galerie en ligne 5-element. Celle-ci propose ainsi en ligne des lampes classiques de Christian Dell des années 1930 autour de 350 euros, ou, plus rare, un modèle double du même designer, pour 2 500 euros.

« Dans les musées »

Autre frein au marché : la rareté. Bien que le mouvement ait prôné une production de masse, peu d’objets ont été fabriqués au moment du Bauhaus. « Les rares pièces d’époque sont dans des musées », ajoute Nicolas Denis, spécialiste de la maison de ventes Piasa. La seule vacation de Christie’s entièrement consacrée à ce mouvement remonte à… 1989. « Elle avait été rendue possible grâce aux successions de créateurs Bauhaus comme Christian Dell ou Marianne Brandt », précise Simon Andrews, spécialiste maison. Sotheby’s avait aussi tenté une vente thématique en 2017, mais elle n’avait réuni que trente-quatre lots plutôt modestes, voire hors sujet, incluant des designers qui n’avaient fait qu’un passage éclair par le Bauhaus.

Les pièces importantes de la période Bauhaus n’apparaissent de fait que par à-coups : un fauteuil métallique de Mies van der Rohe, produit avant décembre 1930, adjugé 116 500 dollars en 2011 (103 000 euros) ; une théière datée de 1924 de Marianne Brandt, partie pour 290 500 dollars chez Christie’s en 2012.

Ulrich Fiedler a ainsi mis vingt ans pour réunir les pièces entièrement d’origine qu’il exposera à partir du 21 avril dans sa galerie de Cologne. Au menu, notamment, le prototype d’un tabouret en métal tubulaire de Marcel Breuer, réalisé en 1927, pour 20 000 euros, ou un cendrier de 1924 conçu par Marianne Brandt, véritable icône, proposé pour 120 000 euros. La question de la rareté vaut tout autant pour les peintres du Bauhaus. A l’exception de Vassily Kandinsky et Paul Klee, les œuvres des peintres qui y enseignèrent apparaissent peu à l’encan. En février, Sotheby’s a proposé une toile, datée de 1923, d’Oskar Schlemmer, qui enseignait le théâtre au Bauhaus. Sans surprise, cette rareté s’est adjugée pour 2,6 millions de livres sterling (3 millions d’euros), le double de son estimation.

Editions et rééditions

Pour ce qui est des meubles, il est plus fréquent de voir des éditions des années 1930, produites par Thonet, Wohnbedarf ou Stylclair. « Le marché offre des éditions originales mêlées aux rééditions qui se poursuivent encore aujourd’hui. Cette spécificité en fait un segment paradoxal, pointu et complexe, prévient Florent Jeanniard, spécialiste chez Sotheby’s. Une bonne connaissance est primordiale pour trier les nombreuses pièces offertes sur ce marché. » La différence de prix est considérable entre une première et une seconde édition. Prenons le fauteuil de 1927, de Breuer. Ulrich Fiedler en propose 85 000 euros pour la première édition datée de 1927. En 1929, Thonet reprend sa fabrication en y introduisant des changements. Résultat : la deuxième édition par Thonet ne vaut plus que 20 000 euros aujourd’hui. « Cet éditeur a voulu faciliter la production industrielle, mais il a ainsi retiré de la complexité au fauteuil », précise Ulrich Fiedler. Et d’ajouter : « Pour certains modèles, il y a eu jusqu’à deux ou trois éditions avec des variantes. » De quoi en perdre son latin ! Le Bauhaus, 100 ans et pas une ride